Crise sanitaire oblige, les Français ont décidé cet été de faire du tourisme… en France. Tous les modes de transport sont sous tension : le train bien sûr, mais surtout la route, partagée entre les millions de vacanciers et les camions de marchandises. Malheureusement, le réseau français est en souffrance…
Mille cent kilomètres de bouchons sur les routes de France lors du premier grand départ des juillettistes cette année ! Records battus sur l’A7, l’A75, l’A61, l’A71, l’A9… la liste est longue. Bison Futé a vu rouge (voir la carte de France réactualisée quotidiennement), et risque bien de réitérer le même constat, dans l’autre sens, à la fin des grandes vacances. Le dernier week-end du mois d’août sera certainement lui aussi marqué par une affluence hors normes sur les nationales et les autoroutes, partout sur le territoire. Une bonne raison pour les pouvoirs publics de remettre à niveau les routes de l’Hexagone.
Le réseau français vit sur ses lauriers
En 2019, l’État français s’est fait tirer les oreilles. En cause : l’état du réseau routier non-concédé (nationales, départementales…) dont la qualité a chuté de manière vertigineuse au cours de la décennie écoulée, selon l’audit réalisé par NiBuxs et IMDM pour la Direction des infrastructures des transports dans le cadre du Forum économique mondial. Jugez plutôt : en 2012, la France était médaille d’or au niveau mondial en termes d’infrastructures routières, sur 141 pays auditionnés. En 2018, elle était rétrogradée à la 7e place du palmarès mondial, puis à la 18e place en 2019. Une vraie dégringolade. Mais comment en sommes-nous arrivés là ?
Le rapport d’audit pointe différentes raisons, parmi lesquelles des « hivers rigoureux », des « intempéries à l’origine de l’arrachement des couches superficielles des routes » et un « trafic élevé avec des pointes à 30000 véhicules par jour » sur certains tronçons. Tous ces facteurs ont un point commun : la nécessité de financer des travaux d’entretien, à hauteur de 1,3 milliard d’euros par an, selon les estimations des deux cabinets d’audit. « Si les voies ne sont pas réparées à temps, l’eau s'infiltre et attaque la structure de la chaussée », explique le document. Une chose ressort clairement : entre 2012 et la palme du meilleur réseau, et 2019 avec cette triste 18e place, le travail n’a pas été fait.
Ces dix dernières années, la maintenance du réseau a donc laissé à désirer. Au détriment des automobilistes lambda comme des professionnels du fret sur route. « L’entretien de notre réseau d’infrastructure routière est un sujet essentiel, prévient Bernard Sala, président de la fédération Routes de France. Il doit être optimisé en s’appuyant davantage sur les expertises en matière d’auscultation et de diagnostic, afin d’anticiper et de réaliser les travaux au bon endroit, au bon moment et avec la technique adaptée. » Une chose est sûre : anticipation et réalisation n’ont pas vraiment été au rendez-vous.
Les autoroutes mieux loties que les nationales
Dans ce panorama peu reluisant, le réseau concédé aux SCA (sociétés concessionnaires d’autoroutes) tire ton épingle du jeu. La raison est assez simple : en cédant la gestion des 9200km d’autoroutes à des opérateurs privés en 2006, l’État a laissé le soin à ces acteurs de financer et d’investir massivement dans les infrastructures. Objectif écrit noir sur blanc dans les contrats de concession : l’État doit récupérer en « bon état » le réseau concédé en fin de contrat. Les SCA n’ont donc pas le choix, elles sortent le carnet de chèque aussi souvent que nécessaire. Ce que ne fait plus l’État, pour les routes nationales par exemple.
Force est de constater que les opérateurs privés maintiennent – voire accroissent – leurs investissements sur le réseau autoroutier. Début juillet 2021, l’Autorité de régulation des transports a publié son rapport annuel recensant les travaux financés par les SCA : « L’activité contractuelle des SCA a été soutenue malgré la crise sanitaire. En dépit d’une légère baisse du nombre de marchés lancés, le volume des marchés a augmenté en montant par rapport à l’exercice précédent, passant de 790 millions d’euros en 2019 à 1139 millions en 2020. L’activité contractuelle a en effet été stimulée par le plan de relance autoroutier et le plan d’investissement autoroutier. » Tous les grands opérateurs – Vinci Autoroutes, Sanef et Eiffage en tête – sont concernés : l’an dernier par exemple, Vinci a annoncé un plan d’investissement de 2 milliards d’euros.
Si le dossier de la concession des autoroutes françaises agite parfois le personnel politique – certains appelant à la renationalisation du réseau comme Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon –, la question des financements reste essentielle. En juin 2020, devant une commission sénatoriale, le président de l’ASFA (Association des Sociétés Françaises d'Autoroutes) Arnaud Quémard expliquait clairement le rôle des SCA dans l’écosystème routier : « Sur la question des péages, on pourrait imaginer que l’État décide, comme en Espagne, de les supprimer. Mais l’État espagnol ne sait pas aujourd’hui comment il va financer les infrastructures. […] Dans tous les cas, il convient de se rappeler que les péages constituent avant tout la contrepartie des investissements, l’entretien courant ne représentant que 25% environ des coûts des concessionnaires. » Mais même s’il ne représente que 25% des dépenses des SCA, l’entretien demeure un sujet central, à la fois pour l’État et pour les usagers.
L’État devra mettre (davantage) la main à la poche
Comme dans de nombreux domaines d’activité, l’État est confronté à une crise d’identité. Il sait qu’il doit accompagner de son mieux la transition écologique qu’il a lui-même initiée avec la Stratégie nationale bas carbone (SNBC). Dans le collimateur, la réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’ensemble de l’économie française, dans laquelle les transports dans leur ensemble jouent un rôle crucial, à la fois au niveau des émissions de GES mais en faveur de la relance économique et de la création de richesses. La France de 2030-2040 ne pourra pas se passer d’infrastructures routières remises à niveau, ou construites nouvellement selon les normes en vigueur les plus vertueuses. « L’innovation, l’économie circulaire par le recyclage et l’éco-conception sont dans notre ADN, poursuit Bernard Sala. Depuis qu’elles existent, les entreprises routières n’ont jamais cessé d’innover, en réduisant les épaisseurs des couches de roulement et en augmentant la part de matériaux recyclés pour réduire leurs besoins en matière première, en diminuant la consommation d’énergie de leur process de fabrication. » Des « process de fabrication » bas-carbone déjà mis en place par les opérateurs privés, même s’ils semblent invisibles pour les usagers.
Personne ne sait de quoi sera fait l’avenir. Ou si la crise sanitaire va perdurer dans les mois ou années qui viennent. Quoi qu’il en soit, les routes françaises vont continuer d’accueillir toujours plus de trafic et vont demander des efforts conséquents de la part de l’État si jamais la France ne veut pas apparaître au-delà de la 18e place dans le prochain classement du Forum économique mondial. Pour enrayer ce cercle vicieux, deux recettes s’imposent : investir et investir encore.
Mille cent kilomètres de bouchons sur les routes de France lors du premier grand départ des juillettistes cette année ! Records battus sur l’A7, l’A75, l’A61, l’A71, l’A9… la liste est longue. Bison Futé a vu rouge (voir la carte de France réactualisée quotidiennement), et risque bien de réitérer le même constat, dans l’autre sens, à la fin des grandes vacances. Le dernier week-end du mois d’août sera certainement lui aussi marqué par une affluence hors normes sur les nationales et les autoroutes, partout sur le territoire. Une bonne raison pour les pouvoirs publics de remettre à niveau les routes de l’Hexagone.
Le réseau français vit sur ses lauriers
En 2019, l’État français s’est fait tirer les oreilles. En cause : l’état du réseau routier non-concédé (nationales, départementales…) dont la qualité a chuté de manière vertigineuse au cours de la décennie écoulée, selon l’audit réalisé par NiBuxs et IMDM pour la Direction des infrastructures des transports dans le cadre du Forum économique mondial. Jugez plutôt : en 2012, la France était médaille d’or au niveau mondial en termes d’infrastructures routières, sur 141 pays auditionnés. En 2018, elle était rétrogradée à la 7e place du palmarès mondial, puis à la 18e place en 2019. Une vraie dégringolade. Mais comment en sommes-nous arrivés là ?
Le rapport d’audit pointe différentes raisons, parmi lesquelles des « hivers rigoureux », des « intempéries à l’origine de l’arrachement des couches superficielles des routes » et un « trafic élevé avec des pointes à 30000 véhicules par jour » sur certains tronçons. Tous ces facteurs ont un point commun : la nécessité de financer des travaux d’entretien, à hauteur de 1,3 milliard d’euros par an, selon les estimations des deux cabinets d’audit. « Si les voies ne sont pas réparées à temps, l’eau s'infiltre et attaque la structure de la chaussée », explique le document. Une chose ressort clairement : entre 2012 et la palme du meilleur réseau, et 2019 avec cette triste 18e place, le travail n’a pas été fait.
Ces dix dernières années, la maintenance du réseau a donc laissé à désirer. Au détriment des automobilistes lambda comme des professionnels du fret sur route. « L’entretien de notre réseau d’infrastructure routière est un sujet essentiel, prévient Bernard Sala, président de la fédération Routes de France. Il doit être optimisé en s’appuyant davantage sur les expertises en matière d’auscultation et de diagnostic, afin d’anticiper et de réaliser les travaux au bon endroit, au bon moment et avec la technique adaptée. » Une chose est sûre : anticipation et réalisation n’ont pas vraiment été au rendez-vous.
Les autoroutes mieux loties que les nationales
Dans ce panorama peu reluisant, le réseau concédé aux SCA (sociétés concessionnaires d’autoroutes) tire ton épingle du jeu. La raison est assez simple : en cédant la gestion des 9200km d’autoroutes à des opérateurs privés en 2006, l’État a laissé le soin à ces acteurs de financer et d’investir massivement dans les infrastructures. Objectif écrit noir sur blanc dans les contrats de concession : l’État doit récupérer en « bon état » le réseau concédé en fin de contrat. Les SCA n’ont donc pas le choix, elles sortent le carnet de chèque aussi souvent que nécessaire. Ce que ne fait plus l’État, pour les routes nationales par exemple.
Force est de constater que les opérateurs privés maintiennent – voire accroissent – leurs investissements sur le réseau autoroutier. Début juillet 2021, l’Autorité de régulation des transports a publié son rapport annuel recensant les travaux financés par les SCA : « L’activité contractuelle des SCA a été soutenue malgré la crise sanitaire. En dépit d’une légère baisse du nombre de marchés lancés, le volume des marchés a augmenté en montant par rapport à l’exercice précédent, passant de 790 millions d’euros en 2019 à 1139 millions en 2020. L’activité contractuelle a en effet été stimulée par le plan de relance autoroutier et le plan d’investissement autoroutier. » Tous les grands opérateurs – Vinci Autoroutes, Sanef et Eiffage en tête – sont concernés : l’an dernier par exemple, Vinci a annoncé un plan d’investissement de 2 milliards d’euros.
Si le dossier de la concession des autoroutes françaises agite parfois le personnel politique – certains appelant à la renationalisation du réseau comme Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon –, la question des financements reste essentielle. En juin 2020, devant une commission sénatoriale, le président de l’ASFA (Association des Sociétés Françaises d'Autoroutes) Arnaud Quémard expliquait clairement le rôle des SCA dans l’écosystème routier : « Sur la question des péages, on pourrait imaginer que l’État décide, comme en Espagne, de les supprimer. Mais l’État espagnol ne sait pas aujourd’hui comment il va financer les infrastructures. […] Dans tous les cas, il convient de se rappeler que les péages constituent avant tout la contrepartie des investissements, l’entretien courant ne représentant que 25% environ des coûts des concessionnaires. » Mais même s’il ne représente que 25% des dépenses des SCA, l’entretien demeure un sujet central, à la fois pour l’État et pour les usagers.
L’État devra mettre (davantage) la main à la poche
Comme dans de nombreux domaines d’activité, l’État est confronté à une crise d’identité. Il sait qu’il doit accompagner de son mieux la transition écologique qu’il a lui-même initiée avec la Stratégie nationale bas carbone (SNBC). Dans le collimateur, la réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’ensemble de l’économie française, dans laquelle les transports dans leur ensemble jouent un rôle crucial, à la fois au niveau des émissions de GES mais en faveur de la relance économique et de la création de richesses. La France de 2030-2040 ne pourra pas se passer d’infrastructures routières remises à niveau, ou construites nouvellement selon les normes en vigueur les plus vertueuses. « L’innovation, l’économie circulaire par le recyclage et l’éco-conception sont dans notre ADN, poursuit Bernard Sala. Depuis qu’elles existent, les entreprises routières n’ont jamais cessé d’innover, en réduisant les épaisseurs des couches de roulement et en augmentant la part de matériaux recyclés pour réduire leurs besoins en matière première, en diminuant la consommation d’énergie de leur process de fabrication. » Des « process de fabrication » bas-carbone déjà mis en place par les opérateurs privés, même s’ils semblent invisibles pour les usagers.
Personne ne sait de quoi sera fait l’avenir. Ou si la crise sanitaire va perdurer dans les mois ou années qui viennent. Quoi qu’il en soit, les routes françaises vont continuer d’accueillir toujours plus de trafic et vont demander des efforts conséquents de la part de l’État si jamais la France ne veut pas apparaître au-delà de la 18e place dans le prochain classement du Forum économique mondial. Pour enrayer ce cercle vicieux, deux recettes s’imposent : investir et investir encore.