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« Tout bien considéré, votre mariage est une entreprise, une affaire qui, tantôt se porte comme un charme, tantôt pédale dans la semoule. La vie conjugale est un vrai boulot. Avec ses différentes tâches et les efforts qu’elle réclame », écrivent Paula Szuchman et Jenny Anderson en introduction de leur ouvrage consacré à « l’art d’utiliser les lois économiques pour minimiser les conflits et maximiser le retour sur le plus gros investissement de votre vie : votre mariage » (1).
Pas très romantique, certes… mais parfaitement justifié. Car comme le précisent ces journalistes chevronnées du Wall Street Journal et du New York Times, « à la base, l’économie consiste à analyser comment les particuliers, les entreprises et les sociétés gèrent des ressources rares. Le même casse-tête que votre partenaire et vous essayez de résoudre jour après jour, à savoir : comment gérer des ressources limitées – votre temps, votre énergie, votre argent – en gardant le sourire et votre vie conjugale au beau fixe ? »
Est-ce à dire qu’Adam Smith, David Ricardo ou John Maynard Keynes peuvent constituer des conseillers conjugaux avisés ? Les exemples donnés par les deux journalistes tendent à le faire croire. Ainsi de la fameuse division du travail, vantée par Adam Smith dans ses « Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations » et par David Ricardo dans sa « théorie des avantages comparatifs ». Tout chef d’entreprise met aujourd’hui en œuvre ce principe. Lorsqu’il confie des missions à ses salariés ou à ses prestataires, il les distribue en fonction de leurs aptitudes. Une évidence dans la vie professionnelle… trop souvent oubliée dans la vie conjugale !
D’où la suggestion des journalistes : répartir les tâches selon les aptitudes de chacun. À l’un la comptabilité, à l’autre le bricolage ! Résultat escompté : une meilleure efficacité collective, source de satisfaction pour chacun. Oser, sur le terrain par nature instable et passionnel du couple, ce recours aux standards de l’économie et de la gestion ou du management tend toutefois à être de plus en plus fréquent en dehors des murs de l’entreprise.
De fait, on ne peut que constater une progressive diffusion des standards managériaux dans l’ensemble de la société, y compris dans les sphères réputées les plus rétives aux valeurs économiques et managériales. Ainsi, c’est peu dire que, depuis des années, la diffusion d’une culture économique a contribué à transformer profondément la pratique du bénévolat, ce dernier intégrant de plus en plus des critères de rentabilité et d’efficacité. « Loin des images d'Epinal, des bons sentiments et de la charité des dames patronnesses, le monde associatif s'est profondément transformé, professionnalisé et technicisé », constate Matthieu Hély dans un ouvrage consacré aux métamorphoses du monde associatif (2). Une évolution somme toute naturelle dans la mesure où, précise le sociologue, « la gestion d'une organisation relevant de la loi de 1901 requiert désormais des compétences de manager, que l'accumulation des guides pratiques consacrés au management associatif ne dément pas ».
À la fois patron d’Oberthur Fiduciaire, une entreprise français leader mondial dans l’impression des billets de banque et dirigeant du Stade Français, Thomas Savare est particulièrement bien placé pour observer ce phénomène. Selon lui, la professionnalisation du secteur associatif ou sportif s’explique par la propension naturelle des hommes à rechercher l’excellence et la performance tant individuelle que collective. « Dans nos vies privées et professionnelles, nous sommes tous animés du même désir : accomplir le plus de choses exaltantes possible dans un temps par nature limité, parce que, chacun le sait, la vie est courte. Or, il se trouve que, par nécessité, le monde de l’entreprise a élaboré des outils qui peuvent nous aider à réaliser plus aisément nos rêves, tout particulièrement lorsqu’ils s’incarnent dans des aventures collectives. Dès lors, pourquoi ne pas y recourir puisqu’ils nous permettent d’aller plus loin et de vivre plus intensément ? »
Un exemple illustre parfaitement son propos. Celui de Billy Beane, manager des Athletics d’Oakland, popularisé par le film « MoneyBall » dans lequel il était incarné par Brad Pitt (3). Au début des années 2000, confronté à une situation financière très désavantageuse par rapport aux autres clubs américains de baseball, Billy Beane décide de professionnaliser le recrutement de ses joueurs en utilisant la « sabermétrie », une discipline permettant d’évaluer scientifiquement les performances réelles des athlètes par le recours aux statistiques (4). Une façon de faire assurément moins poétique que le traditionnel feeling des recruteurs à l'ancienne mais extrêmement efficace. Avec un budget restreint, Billy Beane réussit en effet le tour de force de constituer une équipe de premier plan, en embauchant des joueurs injustement laissés de côté par ses riches concurrents ! « J’y vois la preuve que les méthodes de gestion et d’organisation issues de l’entreprise peuvent tout à fait être mobilisées au service d’aventures humaines exaltantes », affirme Thomas Savare.
Cette diffusion des valeurs et pratiques d’origine économique ne risque-t-elle pas de contribuer à une certaine déshumanisation de la société ? Pour les dirigeants et managers que nous avons sollicités, cette crainte est infondée, parce que, comme le revendique Damien Leclere, commissaire-priseur à la tête de la maison Leclere, « l’entreprise n’est pas le monstre froid que l’on imagine, surtout avec l’abandon progressif des modèles tayloristes. Elle est, elle-même une communauté humaine dont les membres ne sont pas seulement unis par des intérêts mais aussi par des sentiments et des passions communes. De surcroît, l’entreprise est elle-même ouverte aux idées et aux valeurs qui se déploient en dehors de son sein. »
Un propos bien illustré par Thomas Savare qui reconnaît, par exemple, que le sport inspire son style de management : « Mon engagement au service d’un club de rugby me rappelle sans cesse une vérité qu’il ne faut jamais perdre de vue lorsque l’on dirige une entreprise : qu’ils soient en maillot et chaussures à crampons, en col blanc ou en bleu de travail, ce sont avant tout les hommes qui déterminent la performance. » Façon de dire que si l’entreprise inspire la société, l’inverse n’est pas moins vrai. Pour qui sait être à l’affût, tout est source d’inspiration et de réflexion !
(1) « Couplonomics. Maîtriser les grandes théories économiques pour mieux gérer l'amour, le mariage et la répartition des tâches ménagères », par Paula Szuchman et Jenny Anderson, Editions Leduc.s., avril 2012, 320 p.
(2) « Les Métamorphoses du monde associatif », par Matthieu Hély, PUF, coll. « le lien social », 2009, 306 p.
(3) http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=140005.html
(4) http://fr.wikipedia.org/wiki/Saberm%C3%A9trie
Pas très romantique, certes… mais parfaitement justifié. Car comme le précisent ces journalistes chevronnées du Wall Street Journal et du New York Times, « à la base, l’économie consiste à analyser comment les particuliers, les entreprises et les sociétés gèrent des ressources rares. Le même casse-tête que votre partenaire et vous essayez de résoudre jour après jour, à savoir : comment gérer des ressources limitées – votre temps, votre énergie, votre argent – en gardant le sourire et votre vie conjugale au beau fixe ? »
Est-ce à dire qu’Adam Smith, David Ricardo ou John Maynard Keynes peuvent constituer des conseillers conjugaux avisés ? Les exemples donnés par les deux journalistes tendent à le faire croire. Ainsi de la fameuse division du travail, vantée par Adam Smith dans ses « Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations » et par David Ricardo dans sa « théorie des avantages comparatifs ». Tout chef d’entreprise met aujourd’hui en œuvre ce principe. Lorsqu’il confie des missions à ses salariés ou à ses prestataires, il les distribue en fonction de leurs aptitudes. Une évidence dans la vie professionnelle… trop souvent oubliée dans la vie conjugale !
D’où la suggestion des journalistes : répartir les tâches selon les aptitudes de chacun. À l’un la comptabilité, à l’autre le bricolage ! Résultat escompté : une meilleure efficacité collective, source de satisfaction pour chacun. Oser, sur le terrain par nature instable et passionnel du couple, ce recours aux standards de l’économie et de la gestion ou du management tend toutefois à être de plus en plus fréquent en dehors des murs de l’entreprise.
De fait, on ne peut que constater une progressive diffusion des standards managériaux dans l’ensemble de la société, y compris dans les sphères réputées les plus rétives aux valeurs économiques et managériales. Ainsi, c’est peu dire que, depuis des années, la diffusion d’une culture économique a contribué à transformer profondément la pratique du bénévolat, ce dernier intégrant de plus en plus des critères de rentabilité et d’efficacité. « Loin des images d'Epinal, des bons sentiments et de la charité des dames patronnesses, le monde associatif s'est profondément transformé, professionnalisé et technicisé », constate Matthieu Hély dans un ouvrage consacré aux métamorphoses du monde associatif (2). Une évolution somme toute naturelle dans la mesure où, précise le sociologue, « la gestion d'une organisation relevant de la loi de 1901 requiert désormais des compétences de manager, que l'accumulation des guides pratiques consacrés au management associatif ne dément pas ».
À la fois patron d’Oberthur Fiduciaire, une entreprise français leader mondial dans l’impression des billets de banque et dirigeant du Stade Français, Thomas Savare est particulièrement bien placé pour observer ce phénomène. Selon lui, la professionnalisation du secteur associatif ou sportif s’explique par la propension naturelle des hommes à rechercher l’excellence et la performance tant individuelle que collective. « Dans nos vies privées et professionnelles, nous sommes tous animés du même désir : accomplir le plus de choses exaltantes possible dans un temps par nature limité, parce que, chacun le sait, la vie est courte. Or, il se trouve que, par nécessité, le monde de l’entreprise a élaboré des outils qui peuvent nous aider à réaliser plus aisément nos rêves, tout particulièrement lorsqu’ils s’incarnent dans des aventures collectives. Dès lors, pourquoi ne pas y recourir puisqu’ils nous permettent d’aller plus loin et de vivre plus intensément ? »
Un exemple illustre parfaitement son propos. Celui de Billy Beane, manager des Athletics d’Oakland, popularisé par le film « MoneyBall » dans lequel il était incarné par Brad Pitt (3). Au début des années 2000, confronté à une situation financière très désavantageuse par rapport aux autres clubs américains de baseball, Billy Beane décide de professionnaliser le recrutement de ses joueurs en utilisant la « sabermétrie », une discipline permettant d’évaluer scientifiquement les performances réelles des athlètes par le recours aux statistiques (4). Une façon de faire assurément moins poétique que le traditionnel feeling des recruteurs à l'ancienne mais extrêmement efficace. Avec un budget restreint, Billy Beane réussit en effet le tour de force de constituer une équipe de premier plan, en embauchant des joueurs injustement laissés de côté par ses riches concurrents ! « J’y vois la preuve que les méthodes de gestion et d’organisation issues de l’entreprise peuvent tout à fait être mobilisées au service d’aventures humaines exaltantes », affirme Thomas Savare.
Cette diffusion des valeurs et pratiques d’origine économique ne risque-t-elle pas de contribuer à une certaine déshumanisation de la société ? Pour les dirigeants et managers que nous avons sollicités, cette crainte est infondée, parce que, comme le revendique Damien Leclere, commissaire-priseur à la tête de la maison Leclere, « l’entreprise n’est pas le monstre froid que l’on imagine, surtout avec l’abandon progressif des modèles tayloristes. Elle est, elle-même une communauté humaine dont les membres ne sont pas seulement unis par des intérêts mais aussi par des sentiments et des passions communes. De surcroît, l’entreprise est elle-même ouverte aux idées et aux valeurs qui se déploient en dehors de son sein. »
Un propos bien illustré par Thomas Savare qui reconnaît, par exemple, que le sport inspire son style de management : « Mon engagement au service d’un club de rugby me rappelle sans cesse une vérité qu’il ne faut jamais perdre de vue lorsque l’on dirige une entreprise : qu’ils soient en maillot et chaussures à crampons, en col blanc ou en bleu de travail, ce sont avant tout les hommes qui déterminent la performance. » Façon de dire que si l’entreprise inspire la société, l’inverse n’est pas moins vrai. Pour qui sait être à l’affût, tout est source d’inspiration et de réflexion !
(1) « Couplonomics. Maîtriser les grandes théories économiques pour mieux gérer l'amour, le mariage et la répartition des tâches ménagères », par Paula Szuchman et Jenny Anderson, Editions Leduc.s., avril 2012, 320 p.
(2) « Les Métamorphoses du monde associatif », par Matthieu Hély, PUF, coll. « le lien social », 2009, 306 p.
(3) http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=140005.html
(4) http://fr.wikipedia.org/wiki/Saberm%C3%A9trie